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Arthur Ténor se livre...
10 novembre 2013

Epilogue de Il s'appelait... le soldat inconnu

A propos de Il s'appelait... le soldat inconnu.

Ce roman paru chez Gallimard Jeunesse, en Folio Junior, n'est pas la version intégrale. Pour ceux que cela intéresse, je vous propose ci-dessous ce dernier chapitre qui figurait dans le texte initial. Bonne lecture...

26

Il s'appelait... le Soldat Inconnu

 

 

Chaque 1er octobre, année après année, qu'il vente, qu'il pleuve, que la guerre ravage les foyers ou qu'il y ait épidémie de grippe, Lucie se rend sur la tombe du Soldat Inconnu. Pourquoi le 1er octobre ? Personne, jamais, n'a pu le lui fait dire, sauf André. C'est un 1er octobre, jour de rentrée des classes, qu'elle vit François pour la première fois. Elle a choisi cette date comme un anniversaire de mariage... Elle aurait pu en retenir tant d'autres.

Un jour de 1976 pourtant, la maladie réussit à la coucher peu avant ce rendez-vous annuel. Elle a quatre-vingts ans.

– S'il te plaît, Clément, emmène moi là-bas.

Son fils hoche négativement la tête. Il lâche un soupir embarrassé avant de répondre :

– Mais enfin, maman, tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Tu n'en n'auras jamais la force...

– Bien sûr que si ! Regarde, je peux même marcher toute seule !

Lucie quitte son lit et fait quelques pas en prenant appui sur Clément qui proteste, mais ne sait comment s'y prendre pour forcer sa mère à l'écouter. Ils ne sont pas à l'hôpital où l'on sait traiter les vieux... comme des enfants. Désespérée, la vieille femme fixe son fils d'un regard si suppliant qu'il ne peut le soutenir.

– S'il te plaît, emmène-moi là-bas.

– Je ne te comprends pas, maman. Et si tu avais un malaise ? Et que... et que...

Il n'ose dire « Et que tu meurs là-bas ». Une étincelle luit dans le regard de Lucie. Elle ne pourrait rêver plus bel endroit pour mourir. Tout à coup, Clément cède :

– D'accord, on y va.

 

 

Quelques heures plus tard, ils arrivent sous l'Arc de Triomphe. Clément donne le bras à sa mère qui ne tient debout qu'au prix d'un terrible et douloureux effort. Pourtant, cela fait bien longtemps qu'elle ne s'est pas sentie aussi légère.

– Bon, nous y voilà, maugrée son fils. Mais on ne va pas rester longtemps, ajoute-t-il en frissonnant. Y'a un courant d'air du diable, là-dessous !

Elle ne l'écoute pas, contemplant la rosace représentant un bouclier renversé, ciselé et constitué d'épées placées en étoile.

– Tu veux bien me lâcher une minute, s'il te plaît ? demande Lucie en dégageant doucement son bras.

La femme plie les genoux et brusquement se laisse choir sur la dalle mortuaire.

– Maman ! s'exclame Clément.

Il jette des regards alentour comme s'il avait honte. Sa mère souhaite qu'il s'éloigne un peu, mais il réplique :

– Non, non, je reste.

Lucie sort de son sac à main la figurine de bois que François a réalisée il y a si longtemps. « J'aimerais bien mourir maintenant », prie-t-elle en pensée, s'adressant directement à Dieu. Elle ferme les yeux et attend la mort, avec sérénité. Mais soudain des mains la saisissent.

– Qu'est-ce que vous faites ? Laissez-moi ! Laissez-moi !

Des ambulanciers l'emportent vers un hôpital, la figurine de bois est restée sur place.

 

Lucie ne passera pas la nuit. Elle le sait et a demandé à parler seule à seule avec sa petite fille Aurore. Une jeune beauté de vingt ans pimpante et souriante pénètre dans la chambre. Seuls ses yeux gonflés révèlent qu'elle a pleuré récemment.

– Ça va, mamie ?

Lucie acquiesce d'un simple sourire. Elle fait signe à la jeune fille de venir s'asseoir sur le lit, tout près d'elle.

– Tu as un petit ami, Aurore ? lui demande-t-elle après un long silence.

Sa petite fille baisse les yeux.

– Oui.

– Il est comment ?

Aurore lui parle de son jeune fiancé, enfin, ils ne sont pas vraiment fiancés, les temps ont changé...

– Et toi mamie, à mon âge, tu en avais un, de petit ami ?

– Oh oui.

– Il s'appelait comment ?

Lucie fronce les sourcils. Elle ne veut pas le lui dire. Alors elle répond dans un murmure inaudible :

– Il s'appelait... le Soldat Inconnu.

Un homme jeune et rayonnant entre alors dans la chambre, et le cœur de Lucie se serre. C'est impossible ! Elle se redresse contre ses oreillers. Le garçon s'approche. Il a une belle chevelure brune, légèrement bouclée, un regard sombre mais rieur et une peau à peine hâlée, comme par un soleil de printemps.

– François... c'est toi ?

– Bien sûr !

– Comme tu es jeune !

– Hof, quinze-seize ans. Tu viens ?

Elle se lève et s'étonne à peine d'avoir recouvré toute sa vigueur. Furtivement, elle prend conscience qu'elle aussi a retrouvé le corps de son adolescence.

– Où veux-tu m'emmener ? s'enquiert-elle en acceptant sa main.

– Pardi ! Dans notre grange à foin, tu ne l'as pas oubliée ?

Ils dévalent l'escalier du grenier, traversent la cour de la ferme comme deux comètes rieuses. Émile, qui partait nourrir sa percheronne, s'immobilise avec son seau d'avoine.

– Bon sang de bois, grommelle-t-il en se lissant la moustache, va encore falloir qu'elle attende, la Georgette !

Joséphine s'arrête de balayer le perron de la maison, elle sourit puis reprend sa tâche. Lucie et François disparaissent dans la grange. Ils s'embrassent, ils tournoient. Ils s'aiment pour l'éternité.

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Commentaires
L
J'ai aimé ce livre c'est vrai la fin est triste mais le livre lui meme j'adore
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C
J'aime les deux fins. J'imagine que la version définitive vous semble incomplète mais j'aime ce qu'elle suggère car j'avais bien imaginé une Lucie éternellement fidèle à la mémoire de François. De cette "vraie" fin, j'apprécie de retrouver Lucie et François réunis, dans cette grange où ils se sont aimés, ce sont des passages que j'ai vraiment adorés dans le roman. Merci pour ce très beau texte.
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L
par Stephie je découvre cette fin initiale dont je n'avais pas connaissance... et je suis comme elle, je la trouve très symbolique, même si la fin du livre m'a beaucoup plu, comme l'histoire toute entière qui m'a vraiment chamboulée!<br /> l'histoire de ce soldat inconnu va longtemps raisonner en moi! merci monsieur Ténor!!
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L
par Stephie je découvre cette fin initiale dont je n'avais pas connaissance...<br /> et je suis comme elle, je la trouve très symbolique! même si la fin du livre m'a beaucoup plu... comme le livre lui même qui m'a vraiment chamboulée!!<br /> l'histoire de ce soldat inconnu va longtemps raisonner en moi! merci monsieur Ténor!
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S
J'aime beaucoup le côté symbolique de cette fin, cette idée que François revient la chercher juste avant la fin. Eh oui, quand on est fleur bleue, on ne se refait pas :-)
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Arthur Ténor se livre...
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